L’autre jour j’ai entendu Jérémie Peltier parler de fatigue. La fatigue des français. A priori, les français sont fatigués. Bon. On va dire que ce qui s’applique aux français s’applique aux habitants des pays aussi développés que la France. Donc ça fait beaucoup de personnes fatiguées. Y compris moi. Mais fatiguée de quoi ? Fatiguée du monde qui m’entoure ? Fatiguée de travail ? de sport ? de maladie ? En fait, rien de tout ça. Ou un mélange de tout ça. Ah ! Je vais finir par arriver à m’exprimer. Aujourd’hui, je veux parler de la fatigue, cette fatigue qui te tient lorsque ton corps est en forme mais que ton mental ne te permet plus de te confronter aux choses. La nonchalance. La facilité. La crédulité. Quelque chose qui s’exprime aujourd’hui dans notre société toute entière et sur laquelle je me suis questionnée.

Tu n'as pas a subir la fatigue du monde, tu sais ?

Bien sûr, je ressens la fatigue uniquement à mon échelle, dans mon entourage proche et dans les quelques médias que je parcours. Quotidien, lol. Ils me font rire quand je suis fatiguée. Fatiguée ! Arrêtons-nous un instant sur ce mot (j’aime toujours explorer le Larousse à la recherche de quelques pépites). La fatigue, c’est tout d’abord un état physiologique consécutif à un effort prolongé, physique ou intellectuel, se traduisant par une difficulté à continuer cet effort. J’adore cette fatigue qui rythme mes journées. Fatigue serait l’antagoniste de repos, normal. C’est aussi ce qui cause un état de lassitude, c’est particulièrement cette définition qui va nous intéresser. Il existe également la fatigue en agriculture, qui est la baisse de fertilité d’un sol ou le mauvais rendement des récoltes, dont l’origine est mal expliquée (ça ne va pas du tout nous avancer mais à partir du moment où ça parle de nature, je prends).

Alors pour toi c’est quelle fatigue ?

Celle qui provoque la lassitude. L’envie de ne rien faire. Ou plutôt, l’envie de ne plus faire que des choses pour soi. Pour son chez soi. Est-ce que covid est passé par là ? Oui, c’est certain. Début d’année 2021, je commençais ce blog en parlant de discrétion. Ça a été une véritable révélation pour mon petit cerveau qui a enfin pu comprendre la normalité d’être discret. Je ne parle plus de discrétion parce que je ne m’y sens plus confrontée. Cela fait un an que je suis dans une zone de confort que j’adore. Ces moments où j’étais entourée de monde avec lesquelles je me sentais obligée d’interagir et qui me faisaient énormément douter de moi-même ont quasiment disparu. Depuis que je me suis construit un petit chez moi réconfortant et rassurant, je suis heureuse. Je ne suis plus obligée de me confronter à des situations dans lesquelles je me sens en danger (le mot est clairement exagéré). Je peux être pleinement moi-même avec les gens que j’aime et développer mes idées, mes objectifs, mon chemin de vie. C’est trop bien.

Quel rapport avec notre sujet ?

Ce que j’ai trouvé intéressant dans les propos de Jérémie Peltier, c’est son explication de la cause de la fatigue des français. La crise nous a poussé à développer notre chez-soi. Notre “chez-nous” s’en trouve fragilisé. Je me sens directement concernée. Je suis heureuse en tant qu’individu et je rejette l’idée de la morosité collective. Est-ce une mauvaise chose ? Pitié non, pas de culpabilité. Ce phénomène de repli de chacun sur soi-même est un phénomène sociétal qui nous dépasse. Je trouve néanmoins intéressant de s’en questionner. Il est vrai, je n’ai plus la force de me confronter au monde. Pourtant, j’adore voyager. A chaque fois que je voyage, que je rencontre des personnes d’horizons différents, je me sens vivante. Je me sens complète. Mais autour de moi, je ressens le repli de chacun sur soi-même, une absence de réflexion en termes de collectivité.

Une fatigue collective dans laquelle chacun est heureux individuellement ?

Du moins, c’est ce que je ressens. Je suis la première à être heureuse chez moi, en faisant des choses pour moi. Seulement, j’ai l’impression de ne plus m’intéresser au dehors (et mon activité d’auto-entrepreneure s’en retrouve directement impactée). Une manifestation ? Une campagne électorale ? Une association de quartier ? Une lutte pour l’environnement ? Bof. Qu’est-ce que ça va changer de toute façon ? Les réseaux sociaux me font culpabiliser de ne rien faire. Mais s’engager et partager des posts engagés n’est pour moi pas du tout la même chose. A côté de ça, la société crée ce besoin d’avoir un chez soi, un travail, des amis et une famille en bonne santé. Oui, j’ai envie de ça. Tout comme j’ai envie d’être pleine d’énergie et de ressources pour avoir l’impression de faire avancer le monde.

Avoir un chez soi merveilleux et un intérêt grandissant pour le dehors n’est pas forcément incompatible.

Oui et non. (Merci Rita pour cette merveilleuse argumentation). Avoir un chez soi réconfortant permet de reprendre des forces. Mais je pense surtout que l’énergie provient des autres. C’est là, la force de la collectivité. N’est-ce pas un boost merveilleux de passer une après-midi avec une personne remplie de joie et d’ambitions ? Même en tant que discrète, alors que je recharge mes batteries lorsque je suis seule, j’ai besoin de l’énergie des autres. Faire face à des personnes fatiguées est toujours éprouvant pour moi, car je suis une véritable éponge à émotions. Cette dernière année, en côtoyant le milieu associatif puis le milieu médico-social, j’ai été confrontée à une fatigue immense. On a beau être en forme, la fatigue collective semble insurmontable. Il y a sûrement des personnes qui ne sont pas du tout atteintes par la fatigue – ni l’énergie – des autres, et c’est bien aussi. Mais ce n’est pas mon cas. La fatigue. Alors que les projets initiaux de ces milieux étaient formidables, j’y ai ressenti une véritable baisse d’engagement. Du stress. Des conflits. Un ras-le-bol. Un épuisement. Je me suis sentie impuissante face à la fatigue.

Bon alors c’est quoi la solution ? Se reposer ?

Cette sensation de baisse d’énergie m’a souvent fait culpabiliser. Pourquoi suis-je si fatiguée ? Pourquoi n’ai-je plus envie de créer, participer, virevolter ? Faisons d’abord une aparté météo en disant que CE TEMPS EXÉCRABLE n’aide personne. J’écris ces lignes en plein mois de décembre, alors que (presque tous) les commerçants font leur chiffre d’affaires de l’année et que la plupart n’attendent que le début des vacances. Il y a toujours une période de fatigue naturelle – dite d’hibernation dans mon jargon – dûe à l’arrivée du froid, de la neige (on espère ou pas, selon les endroits) qu’il faut accepter. Mais j’ai l’impression qu’il ne s’agit pas que de cette fatigue. Il y a une autre fatigue latente. Une fatigue post-crise. Alors quoi, on ne fait plus rien ? Reposons-nous peut-être, c’est mérité. Il n’est jamais bon de lutter contre la fatigue, c’est là qu’on se blesse. La fatigue nous permet de dire stop. Et de rebondir après. De retrouver toute son énergie. Peut-être que ce n’est pas une mauvaise chose d’avoir un moment pour prendre soin de son chez-soi. C’est peut-être pour mieux se retrouver après.

Tout ça n’est que supposition et interrogation, parce qu’au fond de moi, j’espère qu’ensemble, nous pourrons retrouver cette énergie collective. Nous ressourcer auprès des uns et des autres. Pour à nouveau créer, participer, chanter, danser, virevolter.

Discrete power